Allemagne : Révision de la loi ProstG, la parole aux proxénètes

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Va-t-on vers une révision de la loi ProstG ? Des auditions ont en tout cas eu lieu à Berlin en juin 2014. L’occasion de constater l’évidence : au vu des intérêts en jeu, les organisations de proxénètes sont en la matière les plus écoutées…

Une importante audition sur la réglementation de l’industrie de la prostitution, organisée par le Ministère fédéral allemand de la famille, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse (BMFSFJ), s’est tenue en juin 2014 à Berlin. Il s’agirait de réformer la loi ProstG, votée par les sociaux démocrates et les Verts et entrée en vigueur en 2002, loi de plus en plus contestée[[]], notamment par certains policiers qui l’accusent d’avoir servi les proxénètes, encouragé la criminalité et contribué à la dégradation de la situation des personnes prostituées.

Faut-il s’étonner du fait que seules quelques organisations ont été entendues par le ministère, et à huis clos ? L’Association professionnelle de l’industrie érotique en Allemagne (UEGD), l’Association fédérale des services sexuels (BSD) qui représente des exploitants de maisons closes et des travailleurs du sexe autonomes, et l’Association de services érotiques et sexuels professionnels (BESD), fondée à la hâte en octobre 2013, sans doute pour l’occasion. Ces organisations, qui rassemblent notamment des opérateurs de bordels, se présentent comme représentantes non seulement des entrepreneurs de l’industrie prostitutionnelle et érotique mais aussi des travailleuses du sexe qui n’ont donc, pour les défendre, que leurs exploiteurs[À lire aussi : [.]].

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Les abolitionnistes allemandes, fédérées au sein d’Abolition 2014 remarquent qu’aucune personne ou organisation critique n’a été conviée. Ont ainsi été ignorées : l’ONG Solwodi qui avait interpellé le gouvernement fédéral avant les élections de 2013 avec une pétition No more hustle! – No woman slavery in Germany (Fini le tapin! Pas d’esclavage féminin en Allemagne), appelant le gouvernement à interdire l’achat de services sexuels ; les représentantes du magazine féministe Emma, qui sonnent l’alarme depuis des années contre les retombées de la loi de 2002 et, avec elles, les voix de plus de 12 000 citoyennes et citoyens, ignorées malgré leur signature de l’Appel contre la prostitution depuis la fin 2013[[En novembre 2013, le magazine féministe allemand Emma lançait l’Appel pour l’abolition de la prostitution. En quelques jours, 90 personnalités publiques (artistes, auteurEs, politiques…) et 2000 signataires s’étaient engagéEs.

La pétition comptait 12 400 signatures en juillet 2014.]] ; les initiatrices et signataires de l’Appel de Karlsruhe pour un monde sans prostitution ; les travailleuses sociales qui proposent des refuges aux femmes victimes, etc. Même des représentants de la police comme Manfred Paulus dont on a pu lire dans la presse, à plusieurs reprises, l’analyse impitoyable des effets de la loi de 2002 n’ont pas été auditionnés[À lire sur le site de la Fondation Scelles, [l’interview de Manfred Paulus, ancien commissaire divisionnaire de la brigade criminelle d’Ulm, suite à son article « Hors de contrôle« .]].

Le Ministère n’a bien entendu invité aucun expertE venu de l’étranger ou du Lobby européen des femmes, favorables à l’adoption du modèle nordique de
pénalisation des clientsÀ lire sur le site du Lobby Européen des Femmes : [200 associations lancent l’Appel de Bruxelles pour une Europe libérée de la prostitution.]].Le fait que le Parlement européen ait voté début 2014 une résolution en ce sens n’a pas même infléchi le choix des auditions[[[]]].

Il est donc clair que le gouvernement fédéral appuie d’abord les intérêts des groupes de pression de l’industrie du sexe. Les gros intérêts en jeu – taxes et impôts liés à ce fructueux commerce – y sont de toute évidence pour beaucoup.

FOCUS

Allemagne : 44 personnes, sur 200.000, ont bénéficié de la loi…

Une enquête menée par le quotidien Die Welt (3 novembre 2013) a conclu à la présence de 200 000 personnes prostituées en Allemagne (et non 400 000, chiffre toujours avancé) ; Augsbourg serait la ville où il en existe le plus grand nombre, rapporté à la population.
L’enquête montre également que seules 44 personnes ont demandé à être affiliées au système social en tant que personne prostituée : 44 femmes en 12 ans. Un chiffre qui signe l’échec total de la loi de 2002, censée faciliter l’accès aux droits sociaux pour les femmes en situation de prostitution…

Les grandes lignes de l’éventuelle réforme de la loi ProstG

La CDU-CSU et les partis conservateurs ont présenté une proposition pour réformer la loi sur la prostitution. Les changements éventuels porteraient sur de nombreux points : l’autorisation administrative obligatoire pour les maisons closes, la carte professionnelle pour les personnes prostituées quel que soit le lieu d’exercice, un âge minimum relevé à 21 ans, le droit pour la police de faire des descentes sans motif préalable, l’interdiction des pratiques commerciales comme les forfaits et pratiques à bas coùt, le renforcement des aides pour sortir de la prostitution, l’accès au droit de séjour pour les victimes de la traite, la fin du témoignage obligatoire des victimes pour ouvrir une enquête de police, la pénalisation des clients de personnes victimes de traite (d’ores et déjà bien peu probable).
Il est également prévu que les proxénètes n’auront plus le droit de dicter aux personnes prostituées des conditions comme le lieu ou le temps de travail ou le nombre de contacts sexuels. Il nous semblait que cette disposition figurait bel et bien dans la loi d’origine. Est-ce l’aveu du peu de cas qu’en ont fait les tenanciers ?

Quelques articles sur la légalisation du proxénétisme en Allemagne

Allemagne : La loi « Prost G », ou comment un État fait la promotion de la traite des femmes et de la prostitution

Allemagne: Le flop de la loi « ProstG »

Prostitution et Société numéro 178 – Bordels, l’envers du décor

Grâce à un joli coup d’audace du magazine féministe allemand EMMA, nous disposons enfin d’un reportage effectué à l’intérieur du Pascha de Cologne, auto-proclamé «plus grand bordel d’Europe». Nous le publions en intégralité et en français, assorti de quelques brèves de notre cru. Notre dossier est librement téléchargeable !