Plainte contre X

1980

Alexandre Drouet offre à partir de Plainte contre X, monologue théâtral de Karin Bernfeld, une mise en scène juste et inventive, au service d’un texte important, qui révèle la violence des tournages X et nous met en garde contre le risque de formatage de nos imaginaires érotiques. Comment défendre notre liberté sexuelle contre les normes de l’industrie pornographique?

On asservit les peuples plus facilement avec la pornographie qu’avec des miradors (Alexandre Soljenitsyne)

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Cette citation pourrait résumer à elle seule l’uppercut que l’on reçoit au spectacle de cette pièce dont on sort K.O. Car c’est un cri de rage et de combat qui se livre sur scène : Estelle, une ancienne actrice porno, nous envoie sa souffrance en pleine face et nous somme de l’écouter.

Ce monologue théâtral d’une heure est remarquablement servi par un dispositif de mise en scène simple et efficace. Sous la lumière froide de quelques néons alignés, une petite table avec un micro attend son témoin. Derrière, une toile tendue dessine un écran qui rappelle tous ceux qui peuplent aujourd’hui notre quotidien. C’est dans ce décor qu’avance lentement une jeune femme, elle vient s’immobiliser à l’avant-scène pour nous interpeller frontalement. La parole se fait alors très vite logorrhée, les mots s’enchaînent et se bousculent avec rapidité, exprimant autant le traumatisme que l’urgence absolue de parler chez cette jeune femme trop longtemps tenue au silence, d’abord enfant abusée dans sa famille, puis après, dans l’industrie du X.

Et les mots crus pleuvent comme des couperets : Pute ! Salope ! Chienne ! Allez avale le gros dard, prends toi ta giclée, et la raclée. Etouffée elle s’évanouit, on la ranime avec des gifles.

Ces insultes exigent que nous regardions la réalité brutale de cette industrie bien en face. C’est sans détour qu’ Estelle nous intime de réagir, de prendre conscience, de réfléchir à la condition des actrices porno. Car X c’est non seulement cette industrie mais nous tous qui regardons sans voir, dans l’indifférence, le déni ou le cynisme ; ce contre quoi l’actrice se bat tout le long de la pièce. Cette plainte s’adresse à l’ensemble de la société, et c’est là toute la force du texte qui n’est pas un cri de haine mais un véritable cri de survie, un cri déchirant qui soulève toutes les questions problématiques que pose cette industrie dans laquelle les droits humains et la liberté sexuelle se heurtent à la marchandisation de l’intime.

Entre les moments de parole d’Estelle, c’est aussi la question des consommateurs qui est très justement mise en scène en vidéo. Miroirs de nous-mêmes derrière nos écrans, les consommateurs – une fois n’est pas coutume – sont montrés dans leur voyeurisme ; un retournement du regard dérangeant qui nous tend un reflet franchement assez pathétique, illustrant notre aliénation. C’est aussi dans ces moments que la satire pointe, car c’est une autre force du spectacle que d’arriver à manier l’humour noir par touches sur un sujet aussi dur.

Plainte contre X est une pièce à voir, une pièce puissante et nécessaire sur une industrie qu’il est urgent d’interroger si nous voulons préserver la liberté sexuelle de ces nouvelles normes industrielles. Car à côté des violences réellement subies par les actrices et acteurs du X, c’est du risque de formatage de nos imaginaires érotiques dont il est question. Voulons-nous vraiment que ces injonctions à la performance et à la violence viennent remplacer les anciens interdits ?