Mon secret dévoilé

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Toute ma vie, j’ai eu le sentiment d’être abusée par des hommes. Ce cri, c’est celui de Manuella, qui a choisi, avec Mon secret dévoilé de se libérer par l’écriture.

Son témoignage est l’histoire d’une renaissance. Une petite fille assassinée par une famille maltraitante, devenue la proie idéale pour un proxénète esclavagiste et pervers, trouve dans la créativité mais aussi dans la recherche spirituelle, le moyen de sortir de l’étouffement, de la prison intérieure qui a longtemps été la sienne.

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Manuella est née dans les années 60, en pleine révolution hippie. Elle grandit dans un château, fréquente des écoles religieuses, mais elle est surtout le jouet d’une famille toxique : mère tyrannique, père à tendances incestueuses et sadiques qui se promène nu devant sa fille, lui pétrit les seins, examine son sexe et prend plaisir à l’humilier et la mettre en danger en riant de sa peur.

Traitée de pisseuse et de traînée, formatée pour la soumission, elle pense au suicide en regardant les fusils de chasse de son père. Je construisais mon insécurité existentielle, écrit celle qui a péri de manque d’amour.

Les profiteurs entrent alors en scène, reproduisant ce que sa grand-mère, violée dans sa jeunesse, n’a cessé de lui dire : les hommes ont un truc et ils veulent toujours s’en servir. Le premier rapport sexuel, auquel elle n’est pas prête, lui fait l’effet d’ un coup de fusil reçu en pleine tête. Une partie de moi était morte ; l’acte sexuel devient pour longtemps synonyme d’assassinat.

Sa vie devient une suite d’emprisonnements. Un mariage à 17 ans (elle sort de table, ce jour là, pour pleurer), un divorce… Manuella, qui a appris à neutraliser son aversion et à obéir, tombe régulièrement dans le piège du désir de l’autre en laissant son corps à qui en veut. Elle devient modèle pour des magazines puis lolita du showbiz après une rencontre avec un producteur en Ferrari. Elle mène grande vie (nocturne) avec cuir et porte-jarretelles, fréquente les sex-shops, découvre la cocaïne et les Stones… J’étais un terrain fertile pour le gourou qui allait me prendre en main écrit-elle aujourd’hui, avec une lucidité chèrement conquise.

Livrée en cadeau au fournisseur de son dealer, elle devient prostituée et promise à un bordel au Gabon. C’est alors qu’arrive dans sa vie un certain Daniel, qui porte un bouddha autour du cou, accompagné d’une véritable déesse, Juliette. Il entreprend le sevrage de Manuella, l’écoute, la conseille, lui explique qu’elle a été victime d’un père incestuel, se positionne en protecteur, lui écrit des poèmes, lui promet un tour du monde en voilier. Sauveur inespéré, puisqu’il lui évite un destin terrifiant en Afrique, il lui fait couper les derniers ponts avec ses parents, jette son répertoire téléphonique et installe la peur, jouant près de sa joue avec un pistolet. Juliette, de son côté, habitue Manuella à un vocabulaire dont les maîtres mots sont maître et esclave et le film culte, Histoire d’O. Les deux bourreaux resserrent leur emprise.

L’envoùtement est tel que Manuella, qui se sent redevable, devient Sonia. Prosternée aux pieds de son maître, elle doit lui donner son corps et sa vie. Rapports sexuels violents, sodomisations brutales… Elle est mordue, flagellée, fouettée, enchaînée. Comme Juliette, prostituée de luxe, elle est livrée chaque soir à un homme différent, alcool aidant.

La vie de Manuella est une suite de rebondissements, d’élans amoureux en abandons, d’espoir retrouvé en tentation du suicide. Mais ce qui compte, c’est sa recherche incessante d’amour, de lumière. La peinture, la musique, la poésie, l’écriture sont ses instruments thérapeutiques. La peinture notamment qui l’aide à conscientiser son parcours. En quête de son maître intérieur, elle tente la méditation, les potions chamaniques au Pérou, le bouddhisme tibétain… Au prix de quelques gourous plus ou moins honnêtes et parfois d’un dégoût pour l’entreprise spirituelle.

Au sortir d’un tel parcours, dans un monde où les hommes massacrent leur féminité, par peur, et face à l’injustice infligée en permanence aux filles et aux femmes, elle cultive la force du féminin, mue par une force plus grande qu’elle. Son chemin de vie est une victoire.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.