La fin du tapin. Sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution

1978

Sous prétexte de retracer le combat des associations pour l’abolition de la prostitution, Lilian Mathieu règle ses comptes avec une partialité qui surprend de la part d’un « sociologue » censé prendre du recul et de la hauteur.

D’emblée, le ton de l’ouvrage donne le ton : un terme racoleur – «tapin» – s’aligne sur l’outrance du mot de «croisade», appliqué au mouvement abolitionniste. Étudiant les mouvements qui militent, depuis plus d’un siècle, pour l’abolition de la prostitution et la façon dont ils s’approprient cette réalité sociale, la position de Lilian Mathieu frappe par sa partialité, sa subjectivité.

Selon le sociologue, les croisés abolitionnistes ont une conception essentialiste de la prostitution, considérée comme une aliénation intrinsèque . Missionnaires armés de ferveur vertueuse associée à une éthique intransigeante, ils ne voient les personnes prostituées qu’en victimes passives à sauver.

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Avec un vocabulaire choisi pour dénigrer et caricaturer – condescendance, paternalisme, misérabilisme, apitoiement… – l’auteur brosse le portrait des abolitionnistes, en porte-voix qui s’autorisent à parler et agir en lieu et place d’un autre ; eux dont le discours relève davantage du militantisme que de la science […] prétendent à une expertise sur la prostitution.

Lilian Mathieu se réclame d’une ample documentation sur le mouvement abolitionniste. Hormis ce matériau pléthorique, mais tournant à vide et peu mis en perspective, il ne s’appuie sur aucun outil (questionnaires, entretiens, observation sur le terrain…) susceptible d’étayer ses accusations.

Quels motifs ont présidé à un travail aussi partial ? Quel est l’objectif de cette destruction tellement systématique qu’elle en devient suspecte ? Et comment expliquer que l’auteur, qui prétend si bien connaître le Mouvement du Nid, n’ait pas eu l’idée de franchir les portes de l’association et de discuter avec ses membres ?

Loin de la ferveur vertueuse fantasmée, le Mouvement du Nid revendique la force de l’indignation, véritable moteur de changement. Comme toute émotion, l’indignation est un outil d’intelligence et d’intuition. Au coeur des grandes avancées sociales, elle permet de dénoncer une réalité indigne, de faire évoluer les consciences et de bâtir une réflexion.
Les luttes pour la légalisation de la contraception et de l’avortement, pour la salubrité des prisons, la dénonciation du harcèlement auraient-elles été menées sans cette émotion salutaire ?

Rappelons à Lilian Mathieu que des porte-voix parlant en lieu et place d’un autre, ont bien souvent amorcé, pour les victimes de viols, d’incestes et de violences conjugales, la possibilité de dénoncer une situation traditionnellement gardée sous silence. Les militantEs, soignantEs, magistratEs, enseignantEs… relayant la parole des victimes, donnent un coup de projecteur sur des violences qui se maintiennent grâce au déni dont elles bénéficient.

En ce qui concerne l’expertise du Mouvement du Nid, indue selon ce sociologue, elle est le fruit de 70 ans de travail de terrain et de rencontres avec des milliers de personnes prostituées chaque année. Cette connaissance des faits doit pouvoir rivaliser avec celle de chercheurs en poste à l’Université.

Empreint d’humanisme, le travail quotidien du Mouvement du Nid est fait d’écoute et d’absence de jugement. En instaurant une relation de respect et de confiance avec des personnes exclues et condamnées au silence, il leur permet d’exprimer enfin leurs peurs, leur rage, leur volonté d’en sortir. Loin d’en faire des victimes passives, il leur rend la parole.

Sans doute cet ouvrage critique permet-il à Lilian Mathieu de se poser, lui, en véritable expert de la prostitution. Ce n’est pas cette guerre de l’expertise, peu utile aux personnes prostituées, qui fera avancer la réflexion sur leur devenir et sur l’ensemble du système prostitutionnel.