Portes ouvertes sur maison close

1830

Je suis une pute et fière de l’être. Madame Lisa, qui dirige à Genève le Vénusia, prend soin de se placer du bon côté de la barrière, tellement plus vendeur pour s’attirer les sympathies. Il aurait été plus exact de commencer cet ouvrage de promotion de la prostitution et du proxénétisme par : je suis une patronne de bordel et fière de l’être. La confusion, sciemment entretenue entre la malheureuse prostituée victime du stigmate et la tenancière qui l’exploite, est récurrente. On est supposé n’y voir que du feu.

Madame Lisa, directrice de salon érotique comme il faut dire en langue suisse politiquement correcte, nous est vendue comme une femme courageuse, mère de famille comblée, tenancière épanouie. Cette enfilade de clichés est un modèle du genre. Naïveté, candeur… Figurez vous que Madame Lisa prend la coke pour du talc ! Si si. Le racisme ? Quelle horreur ! Les macs ? le genre d’homme qu’elle ne supporte pas ! L’alcool, la drogue ? Elle ne mange pas de ce pain là. Un modèle pour nous toutes.

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Madame Lisa, qui au passage entretient les meilleures relations avec la police genevoise, n’exploite pas les filles pour s’enrichir. Loin d’elle une si vilaine pensée. Elle se contente de toucher 30% du prix des passes, ce qui lui permet de s’offrir 3 à 4 séjours annuels à New York. Elle débourse 40 000 francs suisses par an pour les études de sa fille : pas question qu’elle devienne pute ni proxo, ces métiers pourtant fascinants dont elle nous fait l’éloge pendant 250 pages.

Du bout des lèvres, elle consent à le dire. Un bordel est une entreprise où les petits phrases sont plus assassines et les gestes plus violents : un volcan au bord de l’éruption. Les complots sont légion et des clients payent les jeunes femmes si épanouies avec de la coke. Détails pittoresques et sans importance.

Emballée sous une si jolie jaquette, avec une quatrième de couverture si vendeuse, Madame Lisa doit bien rigoler. On lui ouvre tout grand les portes de l’édition et de la respectabilité. Elle en fait bon usage et s’offre à peu de frais un ripolinage parfaitement calculé. Dans l’élan, elle glisse les éléments qui vont servir son incessante campagne de recrutement. En lâchant, mine de rien, des chiffres – 10 000 francs suisses, 15 000 euros, 20 000 euros (par mois, bien entendu) -, la file d’attente des jeunes femmes appâtées devrait s’allonger pour le plus grand profit de la tenancière.

Toute la mythologie y est : le métier procure des sensations fortes, les relations professionnelles se transforment inévitablement en amitiés durables. Beaucoup de filles sont des nymphomanes, c’était couru. Un mariage princier par ci, du plaisir par là, de la sécurité, Madame Claude, en son temps, nous avait déjà fait le coup : en mentant d’ailleurs, on l’a appris plus tard, comme une arracheuse de dents.

Madame Lisa, qui en France tomberait sous le coup de la loi, vient d’apporter sa pierre à une Europe proxénète qui travaille d’arrache pied à s’acheter une image débonnaire et branchée. Une entourloupe dont on peut espérer qu’elle ne pèsera pas bien lourd et qu’elle sera vite oubliée.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.