Si je viens vers toi

1779

Tu ne seras qu’une pute comme ta mère ! Voilà ce que Véronique, issue de la Ddass, a entendu toute son enfance de la bouche de sa famille d’accueil. Aujourd’hui, Véronique est une survivante et elle parle.

Je reviens d’une guerre, écrit-elle, n’hésitant pas à utiliser le mot de massacre : violences, barbarie, peur, humiliations, tromperies, abandons, rien ne lui a été épargné. Victime d’inceste à cinq ans, élevée entre l’alcoolisme, les raclées et les insultes, elle décampe à 16 ans pour se jeter dans un mariage raté. Deux fils, un couple à la dérive, une tentative de meurtre de la part de son mari, Véronique, SDF, finit dans un bar et choisit le mauvais confident : un proxénète qui n’a qu’à la cueillir pour la mettre au trottoir. Je n’avais pas toutes les données, il me manquait beaucoup de cartes, dit-elle. En effet, à voir l’insoutenable litanie qui constitue sa vie : des hommes violents, des séjours en hopital psychiatrique, des réveils à l’aube par les services de l’ASE et la police, des petits placés en foyer, des déchirements successifs, de courts moments de rémission suivis de chutes brutales. Et cinq années de vie volée, cinq années de prostitution sur le trottoir à Tours – une guerre de chaque instant – mais aussi à l’abattage dans le sud de la France, aux mains d’un réseau qui tue les récalcitrantes : les années les plus foudroyantes, les plus destructrices de mon existence, un vrai carnage, écrit Véronique qui raconte avoir appelé le Mouvement du Nid[Le [Mouvement du Nid, association 1901 reconnue d’utilité publique, agissant sur les causes et les conséquences de la prostitution, est aussi l’éditeur de la revue trimestrielle Prostitution et Société et de ce présent site.]] en hurlant : Soit je me tue, soit je vais commettre un meurtre.

Recevez nos derniers articles par e-mail !
Lettres d'information
Recevez nos derniers articles par e-mail !
S'abonner

Dans la vie de Véronique, il n’y a aucun pare-choc. Elle encaisse en direct la plus extrême brutalité. Comme elle écrit, brut de décoffrage : . Le tutoiement qu’elle utilise, comme elle tiendrait le menton de la personne qui la lit, en la regardant dans les yeux, fait presque entendre sa voix brisée. Ce n’est pas un livre, c’est un cri, écrit la députée européenne Sophie Auconie dans sa préface.

C’est seulement il y a douze ans, à trente-quatre ans, que Véronique découvre pour la première fois le sens du mot avenir. N’oublie pas que je ne pensais n’être que ça, ne valoir que ça, écrit celle qui entreprend enfin de casser le scénario de la violence. C’est encore au prix de regards pesants, culpabilisants, et de la bonne conscience des « braves gens », au point que, par deux fois, elle a voulu en finir. Mais heureusement, elle n’est plus seule. Si elle tient, c’est grâce aux messages d’amour envoyés par ses enfants (elle en a eu quatre), même à distance. C’est aussi grâce à l’affection quasi maternelle d’une patronne de bar et beaucoup à l’accompagnement solide de ses amis du Mouvement du Nid qui ne se laissent pas abattre par ses coups de gueule un peu rugueux.

L’histoire de Véronique, c’est aussi celle d’un écartèlement entre un monde marqué par la cruauté et un autre, humain, généreux, désintéressé. C’est son expérience de l’un et de l’autre, enchevêtrée, qui parcourt ces pages : d’abord l’un, qui la mène presque jusqu’à la mort, puis l’autre, qui conquiert des parts croissantes du territoire de sa vie. Les belles rencontres («j’en verse encore toutes les larmes de mon corps quand je t’en parle), l’engagement croissant (au PS notamment), la rage de prendre la parole, de défendre la justice. Aujourd’hui, Véronique parle à visage découvert. Elle anime des débats autour de la sortie de son livre avec une énergie farouche. Son parcours a désormais un sens. Il confirme ce que ses accompagnants du Mouvement du Nid de Tours écrivent dans la présentation du livre, eux qui tiennent à saluer les personnes prostituées, des personnes d’une grande authenticité, avec des valeurs qui nous enrichissent. Véronique est à l’orée d’une nouvelle vie, dont ce livre est pour elle le symbole. Comme elle nous l’a écrit dans un courrier récent, personne ne peut nous atteindre, nous sommes des femmes fortes.

Article précédentLa Belgique, bientôt le nouveau paradis des proxénètes?
Article suivantLe livre noir des violences sexuelles
Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.