Suis-je encore vivante?

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Ces lignes seront-elles lues un jour ? Je ne sais. C’est par cette interrogation que s’ouvre Suis-je encore vivante ?, de Grisélidis Réal, journal intime découvert par ses enfants après sa mort, en 2005, mais rédigé d’avril à aoùt 1963. L’auteure est alors détenue à la prison des femmes de Munich après avoir été dénoncée pour trafic de drogue. Deux ans plus tôt, en 1961, elle a quitté la Suisse et son mari pour immigrer avec ses deux enfants en Allemagne où elle a commencé à se prostituer pour nourrir les siens.

Durant ses cinq mois de détention, rongée par la solitude et abattue par la séparation d’avec ses enfants et Rodwell, son amant nègre du moment, Grisélidis Réal va ainsi consigner au jour le jour ses occupations, ses états d’âme, ses angoisses et ses joies, oscillant sans cesse entre abattement et détachement : Je suis partagée entre deux personnes. Une est complètement désespérée et voudrait se tuer, ou s’enfuir. L’autre oppose une presque totale résistance à la réalité et à sa petite vie de prisonnière tranquille (…) et ne veut pas se laisser démoraliser.

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Pour tuer le temps et résister aux conditions de détention insupportables – froid, promiscuité, sous-nutrition, promenades trop rares – elle va dévorer tous les livres disponibles à la bibliothèque de l’établissement pénitentiaire. Stendhal, Kipling, Hoffmann, Bernanos, Mann et d’autres encore deviennent ses compagnons. Elle se met à écrire, de la poésie, et également à peindre, des toiles sombres et torturées.

Suis-je encore vivante ? permet donc de pénétrer l’intimité d’une femme qui se révèle sensible, attachante et qui sait, malgré les circonstances, être drôle et prendre de la distance : Le climat de Munich peut être qualifié de pluvieux : au printemps, en été, en automne, en hiver. Il laisse également transparaître une véritable plume, celle d’une auteure qui, pour écrire, puise au plus près d’elle-même : Et combien inexorable est l’angoisse de ne pouvoir se refléter dans rien, ni se comparer à personne. On est livré aux influences abstraites, elles gagnent en puissance insidieusement et sapent les bases de l’être. Qui suis-je, par rapport à qui, et à quoi ? Où sont mes limites, mon noyau ? Questions auxquelles je m’efforce de répondre, qui me rongent et m’affaiblissent.

Mais la lecture de ce document posthume révèle avant tout une facette méconnue, ou occultée, de celle qui deviendra une des chefs de file de la « Fronde des prostituées », en 1975 à Paris. Plus d’une fois, Grisélidis Réal souligne en effet l’abomination de sa condition de courtisane en usant de mots forts et lourds de sens : Parfois, je pense avec horreur qu’une fois libre, il faudra reprendre ce métier effroyable de courtisane (le mot est poli !) pour gagner de l’argent pour mes enfants, écrit-elle. Comme elle, nombre de ses codétenues se prostituent par nécessité. Celles qui ont conservé leur âme (…) ont beaucoup souffert de cette situation, déplore-t-elle. On est alors bien loin de l’image de la fervente militante en faveur de la prostitution que l’on a retenue.