Combien d’hommes prostitueurs ?

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Le nombre des prostitueurs varierait beaucoup selon les pays et les cultures. Les hommes qui utilisent les services des prostituées ne constituent pas une classe homogène : ce sont des hommes ordinaires, de tous âges, de toutes professions, de toutes classes sociales, de toutes nationalités, de toutes races.

Il est évidemment difficile d’établir des chiffres sùrs en raison des méthodes diverses utilisées dans les — trop rares — enquêtes disponibles, et de la sincérité — dont on peut parfois douter — des sondés. Certains utilisateurs d’Internet, de certains clubs huppés ou encore du « tourisme sexuel » ne s’identifient tout simplement pas à des « clients », qu’ils se représentent comme des hommes qui recourent à la prostitution traditionnelle de trottoir. D’autres éprouvent une forme de honte. Ce qui nous porte à croire que les chiffres disponibles sont sous-estimés. Le chercheur suédois Sven-Axel Mansson notait par exemple en 1999 que le chiffre avancé pour les Pays-Bas était trop bas étant donné l’étendue du commerce sexuel dans le pays et même en prenant en compte les visiteurs étrangers[[S.-A. Mansson, Disparition des frontières, trafic des femmes, 32e congrès de la FAI, Copenhague, décembre 1999.]]. Le nombre des prostitueurs varierait beaucoup selon les pays et les cultures. Mansson[[S.-A. Mansson, Les pratiques des hommes « clients » de la prostitution : influences et orientations pour le travail social, mars 2003 (pour la version française). À télécharger sur cette page.]] estime que leur nombre va de quelques pour cent pour un pays à 40% pour un autre. Il met en avant des circonstances culturelles et historiques spécifiques autour de la sexualité des hommes. Des enquêtes effectuées depuis une vingtaine d’années ont ainsi donné des chiffres aussi divers que 7% en Grande Bretagne et 39% en Espagne, ou encore, selon une étude réalisée en Asie[[B. Anderson et J. O’Connell Davidson, « Is Trafficking in Human Beings Demand Driven ? A Multi-Country Pilot Study », Migration Research Series, n°15, OIM, 2003. À télécharger sur cette page.]], 37% pour le Japon et 73% pour la Thaïlande. Leur nombre serait compris dans une fourchette allant de 10 à 20%, en Finlande (13%), en Norvège (11%), en Suède (13%), aux Pays-Bas (14%), en Suisse (19%), en Russie (10%). L’enquête française menée auprès de 6000 personnes, en 2004, pour le Mouvement du Nid[[Mouvement du Nid, Les clients en question. Enquête d’opinion publique, juin 2004. À télécharger sur cette page.]] établissait à 12,7% le pourcentage d’hommes disant être « clients ». Et à 0,6% celui des femmes… L’énorme écart entre les pourcentage de prostitueurs selon les pays (comme la Suède et la Thaïlande), révélé dans l’enquête d’Anderson et Davidson, s’expliquerait, selon les auteures, non par des caractéristiques personnelles mais par des différences dans la signification sociale du recours à la prostitution. Une différence intéressante est à souligner : les hommes scandinaves disent, à la différence d’hommes d’autres régions du monde, ne pas avoir vécu de pression sociale les incitant à acheter du sexe et rejettent l’idée selon laquelle cet acte serait vu comme une marque de virilité ou de masculinité.

Tous « clients » ?

Les hommes qui utilisent les services des prostituées ne constituent pas une classe homogène : ce sont des hommes ordinaires, de tous âges, de toutes professions, de toutes classes sociales, de toutes nationalités, de toutes races[[D. M. Hughes, Best Practices to Address the Demand Side of Sex Trafficking, University of Rhode Island, 2004. À télécharger sur cette page.]]. Certaines catégories d’hommes seraient toutefois particulièrement touchées : ceux que leur travail éloigne de chez eux pendant de longues périodes, et particulièrement ceux qui sont employés dans des secteurs ou à des postes à prédominance masculine ou dont la culture est imprégnée de machisme[[B. Anderson et J. O’Connell Davidson, Trafficking, a Demand Led Problem ?, University of Nottingham, Save the Children, Suède, 2004. À télécharger sur cette page.]], soit les membres des forces armées, marins, camionneurs, travailleurs migrants… Selon des recherches ethnographiques menées en Afrique du Sud[[C. Campbell, Going Underground and Going after Women : Masculinity and HIV Transmission on the Gold Mines, in R. Morrell, Changing Men in Southern Africa, University of Natal Press, Durban, 2001.]], mineurs, camionneurs et autres travailleurs migrants, qui vivent des conditions difficiles, ont énormément recours aux personnes prostituées, et souvent sans protection. Originalité, la première enquête de Mansson en 1984, Sexualité sans visage, prenait en compte le passé criminel des prostitueurs. Un cinquième des 66 hommes interrogés figuraient dans les registres de la police (délits mineurs) mais 4% environ avaient été condamnés à des peines d’emprisonnement, ce que Mansson soulignait en parlant d’un groupe restreint, mais important, de délinquants.

La première fois influe-t-elle ?

Beaucoup d’hommes sont jeunes la première fois qu’ils recourent à la prostitution. L’âge moyen du premier rapport avec une prostituée serait de 24 ans selon Monto[[M. A. Monto, Focusing on the Clients of Street Prostitutes : A Creative Approach to Reducing Violence against Women, 1999. À télécharger sur cette page.]]. Un âge encore plus faible pour 78% des 180 hommes interrogés dans l’enquête Anderson et Davidson de 2003[[B. Anderson et J. O’Connell Davidson, op. cit., 2003.]] (Danemark, Suède, Japon, Thaïlande, Inde, Italie) lesquels avaient moins de 21 ans lors de cette première fois, et dont 18% n’avaient pas même 18 ans. Plus un homme serait âgé lors de cette première fois, moins il serait susceptible de continuer, selon les auteures. S’il n’a pas utilisé la prostitution avant l’âge de 25 ans, il a moins de chances de commencer.

Quelle fréquence ?

Les données ne permettent pas d’établir des résultats très clairs. Selon les auteurs et les terrains, les chiffres fluctuent. Une étude norvégienne[[L. Finstadt et C. Hoigard, Backstreets : Prostitution, Money and Love,(1986), Polity Press, 1992 (pour la version anglaise).]] menée auprès de 74 hommes a conclu que seuls 10% d’entre eux n’avaient recouru à la prostitution que trois fois ou moins. Plus de 50% l’avaient fait entre 20 et 50 fois, et plus de 33%, plus de cinquante fois. Une recherche menée à San Francisco[[B. R. S. Rosser, S. Sawyer et A. Schroeder, First Offender Prostitution Program in San Francisco, 1998, in D. M. Hughes, op. cit., 2004.]] est arrivée à des résultats similaires. Une enquête irlandaise publiée en 2006, Irish Client Escort Surveys[[Étude citée in P. Kelleher et M. O’Connor, Globalisation, Sex Trafficking & Prostitution, the Experiences of Migrant Women in Ireland, Immigrant Council of Ireland, 2009. À télécharger sur cette page.]], indique que 16% des prostitueurs vont voir des prostituées une fois tous les 15 jours, ou plus fréquemment, et que 46% y recourent moins d’une fois par mois. Aux États-Unis, une étude nationale portant sur la santé a évalué à 16% le nombre d’hommes ayant déjà payé pour un rapport sexuel, dont 6% seulement seraient des « clients » réguliers[[M. A. Monto, op. cit., 1999.]]. Mansson faisait la différence entre les « acheteurs occasionnels » et les « acheteurs habituels », ces derniers étant relativement peu nombreux mais responsables d’un grand nombre d’actes prostitutionnels. Pour le sociologue suédois, ils souffrent de problèmes lourds de dépendance, ne considèrent les femmes qu’en termes sexuels, projettent leurs propres difficultés psychologiques sur elles et sont plus susceptibles d’user de violences et d’humiliations sur les femmes prostituées[[S.-A. Mansson, op. cit., mars 2003.]]. Hoigard et Finstadt[[L. Finstadt et C. Hoigard, op. cit.]] concluaient que ce sont les prostitueurs réguliers qui constituent l’essentiel de la demande pour le marché du sexe. On peut penser que la fréquence est aussi liée aux prix pratiqués. Ansi que l’indiquent Bridget Anderson et Julia O’Connell Davidson[[B. Anderson et J. O’Connell Davidson, op. cit.,2004.]], les recherches menées auprès des marins, touristes, camionneurs, hommes d’affaires en déplacement à l’étranger montrent que le prix est une considération importante. Les auteures estiment que ces hommes sont portés à acheter du sexe dans les lieux où il est moins cher. Elles s’interrogent quant à l’influence de la modicité des prix sur l’augmentation de la demande. Comme l’indiquait en France Saïd Bouamama[[Saïd Bouamama, L’homme en question. Le processus du devenir-client de la prostitution, IFAR/Mouvement du Nid, Septembre 2004. À télécharger sur cette page.]] Saïd Bouamama, l’importance du facteur prix est en contradiction avec l’idée d’un besoin sexuel irrépressible qui exclurait toute possibilité de frustration.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.