Le risque prostitutionnel chez les jeunes

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Bien d’autres facteurs de vulnérabilité que la précarité économique influent sur le passage à la prostitution. Il est utile de savoir les repérer mais aussi d’identifier des situations qui, dans le réel, sont bien éloignées des images d’Épinal présentées dans les médias…

Au début, la prostitution peut se présenter comme un troc sexuel (contre hébergements, sorties, drogues, cigarettes, téléphones portables), présenté comme de la simple débrouille. Elle s’installe souvent dans un moment critique ou une situation d’urgence (séparations, fugues, dettes, etc). Les affaires portées en justice[[Plusieurs affaires (Roubaix, 2009 ; Grenoble, 2010 ; Carpentras, 2011) concernaient des mineures en fugue exploitées par des proxénètes.]] montrent le tribut payé par les jeunes filles au parcours marqué par les placements, les fugues et les ruptures familiales.

Le processus est progressif et non prémédité, en général sous la pression d’un « initiateur » (personne ou environnement). La personne pense n’opérer qu’un « dépannage » provisoire, sans mesurer l’engrenage qui se met en place.

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Une vulnérabilité utilisée par les proxénètes

Le travail le plus complet réalisé en France a été celui de l’Association Nationale de Réadaptation Sociale [Recherche-action menée auprès de 80 jeunes de 18 à 25 ans (grande majorité de filles) reçus par le Service Insertion Jeunes. L’association Altaïr et le Collège Coopératif ont de leur côté mené une enquête sur « Les conduites pré-prostitutionnelles et prostitutionnelles des jeunes » en 2003.]] (ANRS) en 1996, « Le risque prostitutionnel chez les jeunes« . L’ANRS a ainsi identifié des facteurs de base et des facteurs facilitants que confirme chaque jour l’expérience de terrain.

Facteurs de base : accidents biographiques (maltraitances physiques, violences morales ou verbales, viols et agressions sexuelles, tentatives de suicide, maladies graves, abandons) ; problèmes d’identité et d’identification aux modèles parentaux ; fragilité psychologique et carences affectives (qui créent immaturité, mauvaise image de soi et acceptation de la soumission à n’importe quel « sauveur ») ; isolement social, voulu ou subi (utilisé parles rabatteurs) ; disqualification sociale de la famille d’appartenance (chômage, alcoolisme, prostitution, délinquance, parentalité trop protectrice ou trop autoritaire), représentations sociales déformées (projets irréalistes, attentes exagérées de consommation) ; rencontre avec le milieu de la prostitution, organisé ou non (pressions, menaces ou influences).

Facteurs facilitants : les ruptures familiales, recherchées ou subies, qui déstabilisent autant qu’elles donnent une illusion de liberté ; les situations d’errance, sociale (famille, amis), institutionnelle (foyers, hébergements d’urgence), urbaine (squatts), le manque d’hébergement s’avérant un facteur majeur de danger ; la précarité éconmique et l’absence d’alternative socio-professionnelle ; la dépendance aux drogues, aux médicaments ou à l’alcool ; la fréquentation des groupes à risques.
Relevés chez une majorité de filles, ces critères sont à compléter par d’autres concernant plus spécifiquement les jeunes garçons poussés dans la prostitution du fait d’une homosexualité qui a entraîné un rejet familial et social de même que ceux à l’identité sexuelle flottante.
Pour la psychologue Évelyne Josse, Les conduites pré-prostitutionnelles chez les adolescents, 2013, la prostitution s’envisagerait, au moins partiellement, comme un comportement auto-destructeur séquellaire d’un traumatisme précoce.
Il est évident qu’Internet et les contacts noués sur les réseaux sociaux servent aujourd’hui d’accélérateur à l’entrée dans la prostitution.

Médias : un air du temps propice

Les médias, la banalisation de la pornographie, l’hypersexualisation des filles et donc leur cantonnement au rôle de séductrices et d’objets sexuels ont contribué à forger une culture dont les acteurs sociaux pèsent aujourd’hui les ravages. Des jeunes de la classe moyenne, sans problèmes majeurs, en viennent à franchir le pas. Anne, étudiante, bonne éducation, a pensé, à tort, que s’inscrire comme « escorte » sur Internet serait sans conséquences…

Le concept de prostitution choisie, construit politiquement depuis les années 1980 et assorti d’un vocabulaire euphémisé (escorte, escorting) a contribué à embrouiller les esprits en faisant de la prostitution un « métier comme un autre » et même un symbole de séduction et de réussite relayé par le cinéma (Pretty woman, Jeune et jolie, etc).

Un rapport parlementaire remis en 2012 par la sénatrice Chantal Jouanno alertait sur les dangers de cette sexualisation précoce et sur la banalisation des codes de la pornographie dans les clips, les vidéos, à la radio et à la télé. En octobre 2013, une enquête IFOP [[Génération YouPorn, mythe ou réalité ? Ifop, 2013]] concluait que les nouvelles technologies qui rendent accessible le porno font partie intégrante de la sexualité des 15-24 ans au point d’en avoir modifié les codes. L’enquête relève une intégration dès le plus jeune âge de pratiques sexuelles issues directement de la culture porno comme l’éjaculation faciale, la fellation ou la sodomie.

Une étude américaine menée en 2013 par l’association Parents Television Council sur 238 épisodes de séries diffusées aux États-Unis montre de son côté l’association récurrente des femmes, surtout mineures, avec des situations de violences, trafic, harcèlement sexuel, pornographie, strip-tease[[« Quand la télé associe sexe et adolescentes », Les nouvelles news, 16/07/2013.]]…

Ces nouvelles injonctions sexuelles ne s’accompagnent pas encore d’une éducation suffisante. La sociologue et sexologue Sonia Lebreuilly, qui a travaillé auprès de jeunes filles
et femmes de 15 à 25 ans [[Sonia Lebreuilly, Sexe and the Cité. Sexualité des filles dans les quartiers, Université Paris V – René Descartes, 2011.]] déscolarisées et/ou sans emploi, a constaté une méconnaissance du corps et des ressentis corporels. Le plaisir féminin est complètement méconnu par 98% des jeunes femmes rencontrées. Il apparaît qu’elles ne se pensent pas comme actrices de leur sexualité mais plutôt comme objet désiré par les hommes au point, pour certaines, de juger normal de subir des violences. Cette méconnaissance du plaisir féminin trouve un écho chez certains garçons pour qui une fille qui prend du plaisir est une pute.

Attention, zones à risques

  • Le chantage aux photos et vidéos de nature sexuelle, un grand classique utilisé par les proxénètes pour « tenir » la femme ou la jeune fille qui les a acceptées sous couvert de relation amoureuse. La menace de leur divulgation est un excellent moyen de chantage. La banalisation actuelle du sexting (se prendre en photo nue comme preuve d’amour adressée par SMS à son copain) est donc un danger.
  • Les pièges d’Internet. Des sites de discussion en ligne (chat) sont utilisés par des proxénètes pour repérer des jeunes filles vulnérables et en quête d’amour. Une affaire jugée à Nanterre en 2012 en est la parfaite illustration. L’homme avait convaincu des mineures de devenir « escort girls » et prélevait une partie de l’argent des passes. D’autres sites proposent des locations d’appartements qu’il convient de décrypter : Arrangement possible avec propriétaire, chambre gratuite contre services
  • Les petites annonces de magazines gratuits proposent des activités d’hôtesses ou de masseuses en jouant sur la confusion entre emplois authentiques et glissements prostitutionnels parfois induits par les patrons d’établissements.
  • La fréquentation des milieux de l’échangisme s’avère, dans certains cas, faciliter le passage à la prostitution. Des parcours de ce type sont régulièrement rencontrés par les délégations du Mouvement du Nid.