Le Rapport d’information Olivier, ultime étape avant la loi ?

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Deux ans après le «Rapport Bousquet-Geoffroy», le «Rapport Olivier» rendu public le 17 septembre 2013 devrait aboutir à une prochaine proposition de loi normalement débattue à l’Assemblée à la fin novembre. Si de nombreux médias ne veulent en retenir que la pénalisation des clients, la vérité oblige à dire que les 40 recommandations du Rapport sont loin de s’y réduire. 25 d’entre elles portent en effet sur l’accompagnement des personnes prostituées…

Un pas de plus dans le sens de la cohérence et de la lisibilité : c’est le souci du dernier Rapport d’information sur la prostitution adopté à l’unanimité par la Délégation aux Droits des Femmes de l’Assemblée Nationale. Représentative de l’ensemble des partis présents dans l’hémicycle, la Délégation présidée par Catherine Coutelle vient donc de rendre les conclusions de son groupe de travail créé à l’automne 2012 et conduit par Maud Olivier. Ce consensus abolitionniste, obtenu pour la troisième fois en deux ans[Après la publication du Rapport Bousquet-Geoffroy, déjà cité, et le vote le 6 décembre 2011 de la [Résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution.]], réaffirme la nécessité de tout mettre en œuvre pour faire reculer la prostitution, cette violence subie majoritairement par des femmes, et de sortir d’un entre-deux juridique qui dure depuis cinquante ans. Pour les députées, il est temps d’engager l’ensemble de la société dans ce travail de longue haleine et surtout de mettre le Droit français en cohérence à l’heure où les victimes de la prostitution, violence de plus en plus reconnue, sont toujours considérées comme des délinquantes. Les quatre grands piliers déjà affirmés par le Rapport Bousquet sont repris comme une évidence : mieux lutter contre les réseaux de traite et de proxénétisme, fournir aux personnes prostituées un accompagnement global permettant la sortie de prostitution, renforcer l’éducation à la sexualité et la prévention, enfin responsabiliser les clients en pénalisant l’achat d’actes sexuels.

Assécher la demande

Selon le Rapport, qui préconise l’abrogation pure et simple du délit de racolage, le but n’est pas d’interdire l’exercice de la prostitution mais d’assécher la demande en pénalisant désormais le client prostitueur. Les membres de la délégation, de tous bords politiques, ne sont pas des tenant-e-s de la répression mais des personnes soucieuses de voir fonctionner l’ensemble d’un dispositif : volet social, prévention, sanction. Pour dissuader le « client » de pérenniser les situations de violence que son comportement crée et entretient, le Rapport propose de créer une contravention de 5e classe (punie d’une amende de 1.500 euros maximum) mais un délit en cas de récidive, alors puni de six mois de prison et 7.500 € d’amende. Un délai de six mois pourrait être observé entre la promulgation de la loi et son entrée en vigueur, le temps d’organiser une campagne d’information. Des peines complémentaires pourraient être mises en place, telles que des stages de sensibilisation sur le modèle des stages de sécurité routière. Au delà des recommandations maintenant bien connues, notamment pour l’accès aux droits des personnes prostituées (hébergements, santé, etc), ou l’urgence de former les personnels de police et de gendarmerie à recevoir les plaintes des personnes prostituées et des victimes de la traite, le Rapport rappelle la nécessité d’améliorer l’indemnisation des victimes du proxénétisme ou le droit au huis clos lors des procès pour les victimes de la traite et du proxénétisme.

Instituer un accompagnement des personnes prostituées

Entérinant mais aussi complétant le Rapport Bousquet-Geoffroy de 2011, il tente d’aller plus loin dans la recherche de réponses permettant aux personnes de quitter la prostitution : par exemple les inclure parmi les bénéficiaires de la politique de lutte contre la pauvreté et pour l’insertion, expérimenter un dispositif associant formation professionnelle et octroi d’une bourse, financer des actions d’accompagnement grâce à la saisie des biens des trafiquants et proxénètes… L’accès aux titres de séjour pour les victimes de la traite a également bénéficié des débats et réflexions. Il est proposé – comme le demande depuis longtemps le Mouvement du Nid[Le Mouvement du Nid, association de soutien aux personnes prostituées, est l’éditeur de ce site et de la revue trimestrielle Prostitution et Société. Consultez son site : [Mouvement du Nid.]] -, que la délivrance de titres de séjour ne soit plus conditionnée à la dénonciation d’un proxénète; le rapport Olivier l’entend dans le cadre d’un processus de sortie de prostitution. En matière de proxénétisme, l’accent est mis sur la nécessité de renforcer l’arsenal juridique pour poursuivre le proxénétisme par Internet et de recourir au blocage de l’accès aux sites contrevenants. Mais c’est la société tout entière que les député-e-s de la Délégation entendent aussi concerner : Missions locales, agents de Pôle Emploi, directeurs de publication, bref l’ensemble des citoyen-ne-s. Le Mouvement du Nid se voit au passage largement reconnu. Ses observations et ses exigences, que ce soit sur le terrain de l’accompagnement, de la prévention ou de la responsabilisation des clients, sont largement prises en compte. Reste à passer des mots à la volonté politique. « L’objectif, souligne le Rapport, est de soustraire la sexualité à la violence et à la domination masculine ». Dont acte. Rendez-vous est donc pris pour la Journée internationale des violences faites aux femmes. Peut-on raisonnablement espérer qu’elle voie enfin en 2013 l’aboutissement de tant d’années de combat abolitionniste ?

Si le temps manque pour tout lire…

Le Rapport est assorti d’annexes qui pourront être consultées utilement : bilan de la loi allemande et de la politique menée à Stockholm, étude sur la prostitution étudiante en Essonne, mais aussi, tout particulièrement, parmi les multiples auditions effectuées par le groupe de travail, celles de Laurence Noëlle et Rosen Hicher, survivantes de la prostitution pour la force de leur témoignage. Les longues discussions qui ont précédé le vote du rapport, publiées intégralement, apportent également des éclairages intéressants. La députée Ségolène Neuville, par exemple, elle-même médecin spécialiste du VIH, saisit l’occasion (p 133) pour répondre à l’argument des risques sanitaires accrus pour les personnes prostituées si venait à être votée la pénalisation des « clients »[Sur cette question et sur le domaine de la santé des personnes prostituées, lire aussi notre entretien avec [.]]. Un courrier de mise en garde intitulé Prostitution, les enjeux de santé publique, a en effet été adressé le 16 septembre 2013 à la rapporteure Maud Olivier par Médecins du Monde, Act Up, Aides, Arcat, ELCS et le Planning Familial, affirmant entre autres que la pression sur les clients entraînera l’augmentation de pratiques à hauts risques. Ségolène Neuville relève un
 argumentaire pauvre, sans chiffres pertinents, et truffé de contradictions
 flagrantes : il n’existe en effet dans le monde aucune étude comparative entre pays abolitionnistes et réglementaristes qui permette la moindre affirmation sur ce point. La députée rappelle au passage que l’idée reçue voulant que les pays réglementaristes assurent un suivi sanitaire des personnes prostituées est illusoire comme le montre l’enquête menée sur les bordels de La Jonquera, en Catalogne, par des chercheuses de son département, les Pyrénées-Orientales…

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