Denise Pouillon : Une vie entière pour l’abolitionnisme

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Hommage à Denise Pouillon, féministe et abolitionniste (1916-2013).

Jamais fatiguée de se révolter. On a encore vu Denise Pouillon Falco assister à des colloques sur la prostitution il n’y a pas tant d’années ; petite, furtive, mais présente, assidùment. Denise avait 97 ans. Partie sans bruit le 17 mai 2013, à Paris, elle n’aura pas été centenaire comme le fut sa tante, Marcelle Legrand Falco[[Morte en 1985, à l’âge de 104 ans.]], fondatrice en 1926 de l’Union temporaire contre la prostitution réglementée et la traite des femmes, et très engagée dans le combat pour la fermeture des maisons closes.

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C’est à son école que Denise Pouillon a acquis toute jeune la rage de se battre contre l’esclavage sexuel des femmes, le refus de la domination du phallus et de l’argent. Et c’est sans doute au tribunal de Nüremberg où elle fut sténotypiste lors des grands procès des criminels nazis (son père, Robert Falco étant alors l’un des deux juges français), qu’elle rapporta un sens de la justice que rien ne put jamais arrêter.

Toute sa vie, cette féministe et abolitionniste de la première heure, qui fut présidente de l’Union contre la traite des Etres Humains (UCTEH), et membre de la Fédération Abolitionniste Internationale (FAI), a gardé la conviction inébranlable que le combat contre la prostitution et la pornographie était prioritaire. Et elle a largement soutenu ses amies américaines, Kathleen Barry et Dorchen Leidholdt, lorsqu’elles ont fondé la Coalition Against Trafficking in Women (CATW), en 1988.

Les textes qu’elle a laissés n’ont – hélas – pas pris une ride. En 1984, elle taxait les eros-centers allemands de camps de concentration du sexe et dénonçait la dimension raciste du système de prostitution : Le caractère étranger et lointain du corps de l’autre permet de transgresser les tabous en toute bonne conscience et en toute impunité : le corps dont on se sert ne rappelle en rien celui de la mère ou de la sœur ; c’est seulement une putain avec laquelle on peut tout se permettre. En 1991, dans le numéro de la revue de l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), intitulé Cette violence dont nous ne voulons plus, elle insistait sur la dimension de système et dénonçait l’argent, une compensation superficielle à cette dépossession de soi. Proche de la personne prostituée, mais ennemie jurée de la prostitution, elle s’est battue pour que changent les regards : même si elle en vit, elle en est la première victime. Lucide, elle osait dire que les associations de prostituées sont des associations de proxénètes par personne interposée. Très tôt, elle a pointé la responsabilité capitale du « client », qu’elle a participé à identifier en utilisant dans les premières le mot de prostituant (remplacé depuis par le terme prostitueurs, plus percutant encore). Elle a ferraillé contre les politiques réglementaristes en gestation dans l’Europe des années 1990 et montré aussi bien le sexisme de la loi française sur le racolage, qui ne vise que la personne prostituée, éternelle coupable, et innocente le « client ». Sans relâche, elle a milité pour une éducation sexuelle et affective depuis la maternelle jusqu’à l’université.

Denise laisse un bel héritage aux féministes abolitionnistes. Plusieurs d’entre elles, de Malka Marcovich à Marie-Victoire Louis, ont toujours tenu à rappeler tout ce qu’elles devaient à une femme dont les convictions étaient contagieuses. Discrète, respectueuse des divergences, ne jouant jamais les prima donna comme l’écrit son amie américaine Janice Raymond, présidente de la CATW[À lire sur le site de la CATW, [In memory of Denise Pouillon Falco, 1916-2013.]], celle qui a mené ce combat avant même que beaucoup d’entre nous soient nées a su s’attirer les amitiés et le respect. Ses amies féministes lui avaient d’ailleurs organisé un bel hommage en 2010, de son vivant. Pour l’occasion, certaines étaient même venues d’Asie et d’Amérique. Une prochaine loi d’abolition serait une nouvelle et joyeuse opportunité d’honorer sa mémoire…

Lire et relire Denise Pouillon

– « Prostitution, le dernier esclavage », in Terre des Femmes, Panorama de la situation des femmes dans le monde, La Découverte Maspéro, 1984.

– « La position de Denise Pouillon Falco », in Cette violence dont nous ne voulons plus, AVFT, numéro spécial Prostitution, mars 1991.

– « Aide, soutien et réintégration : approches et actions », in Vie Sociale, n° 7-10 – juillet-octobre 1993.

Denise Pouillon Falco a édité les conférences de Marcelle Legrand Falco de 1928 à 1959 : 27 ans de lutte contre l’esclavage des femmes : un combat contre la prostitution réglementée(Paris, 2001, 4 volumes) et déposé ses archives au Musée Social).