La prostitution ou le règne de la convivialité

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Fini le temps où le client furtif rasait les murs de peur d’être reconnu. Désormais, il est invité à fanfaronner sur les plateaux de télévision. La main sur le cœur, il le jure. Il est respectueux, attentif à autrui et ne fait que perpétuer l’esprit libertin si cher au peuple de France et si nécessaire à sa culture.

Une nouvelle fois, grâce au patient travail d’investigation des médias, le paysage est brossé : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes et la prostitution n’est qu’un reflet de l’esprit de convivialité qui honore le pays.

La réalité, comme d’habitude, est infiniment plus dérangeante. Chaque jour, les personnes prostituées nous font le récit des agressions, des injures, des humiliations, des menaces dont elles sont victimes. Les premiers agresseurs ? Les « clients ».

Ce ne sont pas les « défenseurs » de la prostitution qui nous contrediront. Face à un constat aussi flagrant, que nul ne se risque plus à nier, ils s’évertuent à donner aux personnes prostituées des conseils — détaillés — pour se protéger :

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Lorsque vous vous approchez de la voiture, gardez une distance de sécurité pour éviter les agressions : coups de couteau, crachats, bombes lacrymo…

En voiture, fermez la porte et vérifiez immédiatement qu’elle peut s’ouvrir à nouveau (faites comme si elle était mal fermée).

[pendant l’acte] ne fermez pas les yeux, gardez un œil sur lui et sur ses mains à tout instant.

Tels étaient les conseils délivrés en 1995 par le « Petit livret bleu » conçu par l’association Antigone pour les travailleuses du sexe. On y relevait des morceaux d’anthologie comme celui-ci : Il est risqué de s’allonger au-dessous d’un inconnu.

En 1999, le réseau européen Tampep enfonçait le clou :

Plusieurs études ont démontré que les travailleurs du sexe sont, en raison de la nature même de leur travail, davantage exposés au viol et autres brutalités.

Depuis, rien n’a changé. Les associations pro-prostitution continuent elles-mêmes de relayer les conseils de sécurité et pas seulement pour les prostituées de rue. Des directives données aux « escortes » australiennes, alors même que la prostitution est légalisée, valent tous les discours :

Soyez toujours en état d’alerte ; les stylos, sifflets stridents, bombes lacrymogènes peuvent être de bonnes armes (…) ; ne portez pas de couteau ou de pistolet, cela pourrait être utilisé contre vous ; laissez vos vêtements près de la porte, afin de pouvoir les attraper rapidement si vous devez vous enfuir.

En Europe, le fameux bordel Artémis ouvert à Berlin fin 2005 a surtout créé des emplois de vigiles et s’est enorgueilli de posséder une batterie d’alarmes et de caméras. La preuve, s’il en fallait une, de la quiétude qui fait le quotidien de ces établissements et du caractère parfaitement normalisé de l’activité !

Comment les clients invités à se justifier devant les caméras feraient-ils l’aveu de ce versant noir ? Du mépris, des pulsions de violence, de la haine des femmes qui parfois les animent ? Comment tiendraient-ils un autre discours que celui de la légitimation de leurs propres actes, de la validation de l’image qu’ils se font d’eux-mêmes ? Quelle parole libre peuvent tenir des personnes prostituées face à ceux dont dépend leur survie quotidienne ?

Un seul but pour chacun-e : mettre en valeur son histoire individuelle, présenter son meilleur profil aux projecteurs. Ainsi est assurée une nouvelle fois la promotion d’un système sordide et réactionnaire. On peut dormir rassuré.