« Syndicats de prostituéEs »… ou lobbys en faveur du proxénétisme?

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L’époque ne sait plus ce que les mots veulent dire. Celui de «syndicat» en est un exemple frappant au moment où de prétendus syndicats de prostituées fleurissent un peu partout en Europe et dans le monde.

En Angleterre, le syndicat International Union of Sex Workers (IUSW) est ouvert à toute personne appartenant à l’industrie du sexe… et donc aux managers. Ainsi, son représentant, un certain Douglas Fox, qui se dit escort boy, est en réalité le fondateur, par l’intermédiaire de son compagnon John Dockerty, de l’une des plus grandes agences d’escortes de Grande-BretagneJulie Bindel, Un bien étrange syndicat au service des proxénètes, [http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4409.]].

Cette porosité entre personnes qui se présentent comme prostituées et tenancierEs ayant intérêt à la décriminalisation de l’industrie est omniprésente. En Suisse, la tenancière Madame Lisa s’affiche en tant que pute et fière de l’être, alors qu’elle dirige le plus grand bordel de Genève, le Vénusia. Au Canada, Terri Jean Bedford, qui a intenté un procès à l’État en 2009 au nom des intérêts des travailleuses du sexe, a été condamnée en 1998 pour avoir tenu un bordel.

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Que ces proxénètes aient pu être prostituéEs à un moment de leur vie ne change rien à leur statut de proxénète et donc de patronNEs. Comment ne pas voir que ce statut renverse leurs objectifs, qu’il substitue la défense de l’industrie à la défense des personnes que cette industrie exploite[[Comme l’illustre la survivante de la prostitution Stella Marr sur le site prostitutionresearch.com : [Pimps Will Be Pimps (…) and
other Conflicts of Interest
, en anglais.]] ?

On devrait se souvenir de Coyote, premier syndicat de prostituées fondé par Margo Saint James à San Francisco en 1973. Elle-même, condamnée en 1962 pour proxénétisme, se présentait comme prostituée, ce qu’elle ne fut que très brièvement. On sait aujourd’hui que son syndicat comptait, de son propre aveu… 3 % de prostituées[[Lilian Mathieu, Mobilisations de prostituées, Belin, 2001.]]. Le reste étant, semble-t-il, un puzzle de clients, gens de médias, politiciens et libéraux de toute espèce.

À l’heure où le Strass, syndicat du travail du sexe, entend s’imposer en France comme représentant des personnes prostituées, posons les questions qui fâchent. Ouvert à toute personne amenée à échanger un service de nature sexuelle moyennant contrepartie, il accueille aussi toute personne salariée, ou indépendante, ou travaillant pour son propre compte exerçant une activité liée à la sexualité, et même, comme sympathisants, toute personne physique.

Comment fait-il alors pour ne pas amalgamer patrons de bars ou de salons de massage, « clients », producteurs de films porno et « simples » personnes prostituées ?

Depuis quand un patron et la personne qu’il fait travailler défendent-ils les mêmes intérêts à l’intérieur du même syndicat ? Le terme « syndicat » est-il le bon dès lors que le Strass milite pour l’abrogation des lois sur le proxénétisme ? Et de quelle légitimité un tel « syndicat »peut-il se prévaloir ?

Cette posture imitant les codes de la gauche syndicale, à la pointe de la défense d’une minorité opprimée, est un cheval de Troie idéal pour le patronat de l’industrie du sexe, une pièce maîtresse de son arsenal politique. Quel meilleur masque à son travail de sape des lois punissant le proxénétisme, dont le déverrouillage ouvrirait la voie à de juteux profits ?

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.