« Clients » de la prostitution : la fin de l’aveuglement français ?

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La « mission d’information parlementaire sur la prostitution », créée en juin 2010, a fait étape à Lyon le 16 décembre, participant à divers échanges avec des acteurs sociaux, des personnes prostituées, des associations, des éluEs… Une nouveauté : cette mission-là ne feindra pas d’ignorer les « clients », selon les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, qui en sont respectivement la présidente et le rapporteur.

Il est incontestable que la question des clients prostitueurs, qui a été écartée ou éludée jusqu’à maintenant par tous les législateurs se pose et il faudra évidemment que nous apportions une réponse, a diagnostiqué Guy Geoffroy, repris par La Tribune de Lyon du 17 décembre 2010.

Éludés, les prostitueurs? En effet, la loi française les ignore, sauf s’il s’agit de « clients » de prostitué-e-s mineur-e-s ou de personnes prostituées particulièrement vulnérables (grossesse, maladie, infirmité, etc.). Quant aux amendes pour « racolage », elles sont infligées aux personnes prostituées, jamais aux « clients ». Cette tolérance à l’égard des prostitueurs est d’autant plus scandaleuse que de nombreuses enquêtes signalent que la majorité des agressions subies par les personnes prostituées sont du fait d’un « client ». Pourtant, ce n’est qu’à partir des années 2000 que les « clients » prostitueurs sont progressivement pris en considération, par exemple par la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (dont la France est signataire), qui appelle en 2005 les gouvernements à prendre des mesures (…) afin de décourager la demande et identifier la demande comme une des causes profondes de la traite des êtres humains.

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En intégrant dans ses travaux la question des prostitueurs, la mission d’information parlementaire sur la prostitution se place ainsi dans une perspective cohérente, en conformité avec les engagements français. Il ne s’agit pas seulement de corriger un angle aveugle des politiques antérieures en matière de prostitution : cette position pourrait être l’amorce d’un véritable renouvellement des pratiques actuellement en vigueur, plus soucieuses de préserver l’ordre public que de lutter contre la violence sexiste que constitue la prostitution. Danielle Bousquet prône à cet égard un changement de regard, déclarant au Progrès du 16 décembre 2010 : Il ne faut pas avoir une vision naïve de la prostitution. La France la tolère, mais elle considère les personnes qui s’y adonnent comme des délinquants. C’est hypocrite. Il faut changer le regard de la société sur ces femmes et ces hommes : ce sont des victimes qui se prostituent non par choix, mais parce qu’elles sont soumises à un proxénète ou qu’elles sont dans une situation de pauvreté.

Ce regard innovant sur le système prostitutionnel singularise cette mission d’information parlementaire. Aurait-il déjà porté ses fruits ? Les sujets et les méthodes envisagés sont en tout cas ambitieux. Les sept députéEs devraient en effet travailler sur la prise en charge des mineurEs prostituéEs, le droit de séjour des personnes prostituées étrangères victimes de trafics, mais aussi sur les questions de la banalisation du « commerce du sexe » et à l’usage des nouveaux médias (télécommunication, Internet), déjà largement incorporés dans les pratiques des que proxénètes comme des prostitueurs. La prévention, en direction des personnes en risque de prostitution, mais aussi vers les « clients » prostitueurs, devrait également tenir une place importante et inédite. La mission d’information parlementaire sur la prostitution a déjà auditionné de nombreux acteurs sociaux en lien avec ces sujets en France ; après Lyon, les députéEs se rendront plusieurs grandes villes françaises, mais aussi en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas… et en Suède, pour observer les dispositions en vigueur à l’international.

Une mission d’information sur la prostitution à l’Assemblée

Créée le 16 juin 2010, la mission d’information parlementaire sur la prostitution en France est présidée par la députée socialiste Danielle Bousquet ; l’UMP Guy Geoffroy en est le rapporteur. Tous deux sont membres de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Danielle Bousquet et Guy Geoffroy ont occupé ces mêmes fonctions de présidente et rapporteur au sein de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes ; ils ont présenté en novembre 2009 une proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes. En juillet 2010, cette proposition, devenue loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants est finalement votée.

Cinq autres députéEs font également partie de cette mission d’information sur la prostitution en France : M. Elie Aboud (UMP, Hérault), Mme Marie-Françoise Clergeau (SRC, Loire-Atlantique), M. Philippe Goujon (UMP, Paris), M. Alain Vidalies (SRC, Landes) et Mme Marie-Jo Zimmermann (UMP, Moselle).

Prostitueurs, état des lieux

Une synthèse des études sur les « clients » des personnes prostituées

Nous vous proposons notre dossier Prostitueurs, état des lieux, qui tâche de rendre compte des éléments établis par les principales enquêtes menées ces vingt dernières années.

Vous pouvez le télécharger en texte intégral ci-dessous, ou lire en ligne sur ce site les extraits suivants :

Tous clients? / La première fois influe t-elle? / Quelle fréquence? / Des stéréotypes persistants

Rite de passage, appartenance au groupe, renforcement de l’identité masculine / Varier les expériences sexuelles et dominer / La division des femmes en deux catégories : la création de la « putain » / Le « manque » de partenaires / L’anxiété sociale / La facilité d’un rapport sans risque / Recherche de rencontre ou nouvelle forme de consommation? / Une reprise de pouvoir /Des réflexes racistes et colonialistes / Que sait-on du recours aux prostituéEs mineurEs ? / Quelle place tient Internet? / La pornographie / Les clients, alliés de la lutte contre la traite ?

Quelles est l’attitude des prostitueurs vis-à-vis des personnes victimes de la traite? / Les violences des clients / Quel est le rapport des prostitueurs aux femmes en général ? / Quelles pistes pour réduire la demande?