Union européenne : un rêve de proxénète

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Deux mots pourraient résumer l’essor des bordels en Europe : gigantisme et normalisation. Le bordel, comme le supermarché, est désormais «hyper» et peaufine son image de complexe de loisirs. Dans une Europe en crise où l’exploitation sexuelle des femmes est un des rares secteurs à ne pas connaître la faillite, un nombre croissant d’«entrepreneurs» proxénètes se disputent le «marché»…

Depuis les lois qui ont, chez nos voisins, dépénalisé le proxénétisme, les bordels se sont convertis aux règles du capitalisme. Segmentation du marché, flexibilité, trois-huit, normes de consommation, profit maximal… Fini le bordel de papa. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Espagne, en Suisse et ailleurs, le concept «mac do» est désormais étendu à la mise en marché des femmes. C’est le temps du complexe de loisir relooké au prix d’un intense travail de marketing, et même des chaînes low cost avec forfaits tout compris et cartes de fidélité. Les médias – télés, radios, publicité – se chargent d’assurer la promotion de ces établissements vendus comme le nec plus ultra de la modernité.

Chaque pays rivalise – jusqu’à l’obsession – pour ouvrir le plus grand bordel d’Europe. Le « Paradise » de la Jonquera, comme le « Pascha » de Cologne, nous sont présentés comme tels, et deux magnats du sexe promettent d’ouvrir encore plus grand à Vienne, en Autriche, en 2014. Un millier d’hommes pourront y faire leur marché sexuel sur mille mètres carrés, parmi une centaine de femmes disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à des prix abordables.

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Toujours plus grand, toujours plus « innovant »

La Belgique est en la matière un pays particulièrement dynamique, si l’on ose dire. Les projets y abondent. Le tenancier De Coninck, patron de la « Villa Tinto[[Installée dans une ancienne charcuterie (ça ne s’invente pas…).]] » d’Anvers – que les guides touristiques présentent comme la plus grande maison close de Belgique –, se bat pour imposer un méga bordel du même type à Schaerbeek, commune limitrophe de Bruxelles : un complexe immobilier de 6 500 m2 destiné à abriter des commerces, des logements et des studios de prostitution, assortis de places de parking ; un bordel à prix modéré puisque De Coninck se targue de louer ses salons seulement 50 euros les douze heures[[Soit au moins 700 euros mensuels, voire plus. Pour les femmes, combien de passes avant de gagner le premier euro ?]]… Si, pour le moment, il semble exposé à un avis défavorable de la commission de concertation, il a bon espoir. Tant pis si la présence d’une antenne de police à proximité de la fameuse « Villa Tinto » a été incapable d’empêcher la traite de continuer à s’exercer à l’inérieur même de son établissement[[Source : La mise en place de complexes hôteliers dédiés à la prostitution, rapport de la Commission CEPESS présidée par Céline Frémault, décembre 2011.]]. L’affaire est tellement rentable qu’il fera tout pour étendre le «concept».

À Liège, le projet « Isatis », lancé en 2009, est actuellement en sommeil. Présenté comme innovant, il a vite montré ses contradictions, pour ne pas dire son aberration. Une structure associative, rassemblant banques, architectes, autorités communales, policières, judiciaires et associations, gérerait l’établissement. Ainsi, pour prétendre bannir le proxénétisme des proxénètes professionnels, on propose – au nom des meilleures intentions – de transformer une ville entière en proxénète amateur. Plusieurs associations se sont d’ores et déjà retirées du projet. L’ouverture, prévue pour 2014, semble donc pour le moment reportée. Mais un autre projet du même type est désormais défendu à Seraing.

En Espagne, les puticlubs poussent comme des champignons. Des bordels par milliers, titrait la revue Courrier International[[Courrier International, 4 juin 2009.]] en 2009. La situation n’a fait qu’empirer depuis. À côté des usines à sexe de la Jonquera, les « clients » sont assurés de trouver partout ces bordels déguisés en boîtes de nuit.

En Allemagne, même paysage. On se souvient de l’ouverture en fanfare de l’ »Artémis », à Berlin, en 2005, peu de temps avant le Mondial de football : quatre étages bâtis à proximité du stade olympique, avec piscine, cinéma porno et espace bien-être. Quatre-vingt-dix femmes à disposition et un parking plein de BMW qui ne désemplit pas, dit-on, surtout à la sortie des bureaux. Un peu «haut de gamme», ce type de bordel est aujourd’hui concurrencé par les chaînes « Pussy Clubs » qui fleurissent un peu partout. Stratégiquement situé non loin de l’aéroport de Schönefeld où débarquent les adeptes des compagnies low cost, le Pussy Club de Berlin, par exemple, fait tout pour casser les prix. Son site Internet assure le «client» qu’il pourra prétendre au baiser sur la bouche et à la fellation sans préservatif.

En Suisse, le « Venusia », la plus grande maison close de Genève (évidemment) – sept cents m2 ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept– jouit d’une popularité sans failles. La tenancière, Madame Lisa, auteure d’un livre de promo largement relayé dans les medias[Une recension à lire sur notre site : [Portes ouvertes sur maison close.]], se félicite de son succès : Chez vous, nous serions en prison pour proxénétisme aggravé, rigole l’aimable quinquagénaire à l’oreille d’un journaliste français[|Le Dauphiné du 6 avril 2010, [« La méthode suisse ».]].

Solitude des abolitionnistes

Si quelques rares associations ou personnalités politiques se manifestent ici ou là, on est frappé par la quasi absence de réaction à un système d’exploitation sordide.
À peine quelques associations allemandes ont-elles manifesté leur désapprobation en apprenant les «soldes» pesant sur les femmes dans les bordels : indigne, selon elles (une indignité portant apparemment sur le seul montant des tarifs). En Espagne, les abolitionnistes sont très isolées – à Madrid, à Barcelone, à Séville – alors qu’ouvrent, comme à Valence, des «écoles de prostitution».

En Belgique, la résistance s’organise plus solidement, semble-t-il. Le projet Isatis a essuyé les foudres de la Commission « Femmes et Ville » de Liège et la députée européenne Véronique de Keyser a claqué la porte, redoutant un appel d’air pour les « clients » comme pour les réseaux criminels. Le Conseil des Femmes Francophones a de son côté publié un Manifeste contre les eros-centers.

Dans une Europe qui donne au monde des leçons de démocratie, la situation est alarmante. Et les instances européennes en portent la responsabilité. Les politiques menées ces vingt dernières années dans l’Union européenne., tournées vers la seule lutte contre la traite, ont abouti à abandonner le combat contre la prostitution et le proxénétisme et ouvert la voie à un «marché» aux femmes sans précédent. La question est posée : comment faire machine arrière, maintenant que les proxénètes ont dans de nombreux pays pignon sur rue et que leurs impôts et taxes alimentent les caisses des États ?