Mots rumeurs, mots cutter

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Ecrit par Charlotte Bousquet et dessiné par Stéphanie Rubini, ce roman graphique destiné aux adolescentEs met en lumière les conséquences du harcèlement, à l’heure où un téléphone suffit à prendre une photo aux retombées tragiques…

Léa est une collégienne comme les autres : elle a ses amies, va en cours, rencontre un garçon avec qui elle va vivre ses premiers émois. Dépeinte comme une adolescente enjouée et pleine de vitalité, sa descente aux enfers en est encore plus abrupte : lors d’une soirée un peu arrosée entre filles, pour ne pas perdre un défi, elle enlève son t-shirt et son soutien-gorge. Sauf qu’une photo d’elle est prise, puis publiée sur la toile.

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Tout bascule : Léa devient la risée de ses camarades de la classe et du collège. Ses amies se détournent d’elle, son petit copain l’ignore et la quitte. Les insultes et les humiliations s’enchaînent : Léa devient paria et sa seule identité est résumée à cette photo qui fait d’elle une traînée.

Si cette histoire a malheureusement quelque chose d’un peu banal en matière de cyberviolence et de persécution au collège, la spirale infernale dans laquelle sombre Léa, elle, est terrifiante. Ses professeurs assistent à cette brutale mise à l’écart mais ne font pas pour un autant un pas vers elle ; ses parents se rendent compte que quelque chose ne va pas mais ne savent pas comment lui parler, ses amies la laissent tomber. Quant à Léa, la honte de ce qui s’est passé l’empêche de se confier et d’aller chercher de l’aide.

C’est sans doute ce qui choque le plus au fil de l’histoire : si Léa est un personnage féminin au caractère bien trempé qui se laisse pas faire si rapidement, la violence de l’absence de réactions autour d’elle, des adultes, de ses parents, l’empêche de s’en sortir. Un point de vue sombre mais voulu par l’auteure qui cherche à montrer la réalité et qui donne ainsi au roman graphique un très bon aspect pédagogique pour montrer comment ne pas laisser dégénérer une telle situation. Et combien il est important de réagir et d’entamer le dialogue avec des victimes que la pression rend incapables d’agir.

3 questions à Charlotte Bousquet, auteure de Mots rumeurs, mots cutter :

Comment avez-vous été sensibilisée aux problèmes de cyberharcèlement/cyberviolence ? Comment avez-vous appréhendé le sujet ?

Peut-être parce que j’ai moi-même été victime de harcèlement lorsque j’étais au collège, j’ai toujours été profondément touchée par les phénomènes de groupe et d’exclusion, qui ne sont pas d’ailleurs seulement le fait d’adolescents. C’est comme ça que je me suis intéressée aux formes extrêmement destructrices que sont le cyberharcèlement et la cyberviolence aujourd’hui.

Votre héroïne ne parvient à parler de ses problèmes à personne, surtout pas à ses parents, et se renferme. Pourquoi ce choix de la spirale infernale ?

Parce qu’il est très difficile de parler. Parce qu’on a honte de ce qui se passe, parce qu’on n’arrive plus à se regarder dans la glace. Parce qu’on a peur, aussi. Quand on est victime de harcèlement, on est de plus en plus isolé. On a de plus en plus de mal à trouver les mots, à les sortir de soi… Croire qu’on va spontanément parler à ses parents de ce que l’on subit, même quand on s’entend avec eux, c’est utopique. Depuis la primaire, on vous serine que rapporter c’est mal, qu’il faut être autonome, etc. Pourquoi en irait-il autrement dans un cas de harcèlement ? Bien sur, ce n’est pas toujours le cas, et heureusement… Mais j’ai envie de répondre : pensez à l’armée, à la loi du silence…

La fin de votre livre n’est pas clairement positive ni négative, pourquoi avoir choisi une fin de ce genre, qui laisse libre court à l’interprétation ?

Au contraire, la fin du roman graphique est pour moi positive. Léa trouve enfin une main tendue, une amie prête à prendre sa défense et à contre attaquer. Par son acte, Chloé tire Léa de cette spirale que vous évoquiez. Par son sourire, elle lui donne un peu de sa force et de sa joie de vivre. Léa n’est plus seule pour faire face aux autres. Elle va pouvoir réapprendre à vivre et respirer…